Haut lieu de l’activité industrielle hier et de la mémoire industrielle aujourd’hui, l’usine Beauport constitue le symbole par excellence, en même temps qu’un résumé parfait, de l’histoire de l’industrie sucrière guadeloupéenne pendant plus de deux siècles et demi.
Au XVIIIe siècle, pourtant, ce n’est qu’une simple « habitation-sucrerie », produisant difficilement une cinquantaine de tonnes de sucre par an avec son moulin à vent, comme il en existe des dizaines d’autres en Grande-Terre. Mais en 1863, dès que la révolution industrielle arrive en Guadeloupe, son propriétaire, le Dr Souques, n’hésite pas à la transformer en une usine moderne, qui devient très vite la seconde de l’île. En 1910, comme beaucoup d’autres usiniers blancs-créoles, les Souques font faillite, éliminés par la grande crise sucrière mondiale de la fin du XIXe siècle. Sept ans plus tard, Beauport est reprise par une société métropolitaine, la SAUB, qui l’exploitera jusqu’en 1981. C’est en 1965 qu’est établi le record historique de production. Mais immédiatement après se déclenche une énorme crise structurelle qui, en quinze ans à peine, conduit à l’effondrement de l’industrie sucrière guadeloupéenne. Après une longue agonie, Beauport, ravagée par le cyclone Hugo, est définitivement fermée en 1990.
L’histoire de Beauport n’est pas seulement celle d’une activité industrielle, elle est aussi une grande et douloureuse aventure humaine. Pendant deux siècles et demi, de génération en génération, se sont succédés sur le site des milliers de travailleurs de provenances et de statuts divers, esclaves africains d’abord, immigrants indiens ensuite, salariés créoles enfin, venus concrétiser par leurs peines les virtualité du milieu naturel, l’évolution de la technique et l’engagement du capital. Cette histoire est aussi celle de grandes violences et de grandes souffrances. Tout autant que les décisions gestionnaires des propriétaires successifs de l’usine, elles constituent la trame de ce récit.